La BnF possède t'elle des ouvrages de la liste Otto, censurés pendant la deuxième guerre mondiale ? Si oui, ces ouvrages ont-ils été détruits ou brûlés ?

Je vous contacte car je suis en terminale ES et que je participe au concours de la résistance cette année. Avec mon groupe nous avons comme problématique « des dessins et des écrits pour dire non et le faire savoir » en 1940 – 1941. En faisant des recherches nous sommes tombées sur la liste Otto qui a conduit à la censure et à la destruction de centaines d’ouvrages. C’est sur ce sujet que j’aurais besoin de votre aide, si vous le voulez bien. J’aurais deux questions à vous poser :

-Est ce que vous avez des ouvrages qui pendant cette période ont été censurés ?

-Et dans ce cas, est ce que tout les ouvrages présents sur cette première liste ont été détruit ou brûlé par votre établissement ?


Réponse

La première des listes de censure établies par les services de propagande allemands est la liste dite « Bernhard », comprenant 143 titres d’ouvrages jugés antinazis ou germanophobes. Les ouvrages de cette liste sont saisis chez les éditeurs, les libraires et les bibliothèques à l’été 1940.

Ensuite, l’organe administratif de propagande chargé de la censure contraint des éditeurs français à établir une autre liste, destinée à compléter la liste Bernhard de 1060 titres d’ouvrages s’opposant  la politique allemande, ou écrits par des auteurs juifs ou encore anglophiles, etc. Cette liste, dite première liste Otto (qui tirerait son nom de celui de l’ambassadeur d’Allemagne en France, Otto Abetz) s’intitule officiellement « Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes », et est diffusée en octobre 1940, dans la Bibliographie de la France.

A noter que Mein Kampf, mon combat, d’Adolf Hitler, figure dans cette liste car cette traduction exacte de l’édition intégrale, publiée en 1938 par La Défense française, n’était pas issue du Reich, qui n’autorisait à circuler que des traductions adaptées à chaque pays soumis, acceptables par les peuples visés, et donc expurgées des éléments racistes et belliqueux.

Une deuxième liste Otto paraît le 25 septembre 1942, comprenant 1170 titres : « Unerwuenschte Literatur in Frankreich - Ouvrages littéraires non désirables en France », désignant tous les « écrits qui tournent en ridicule le peuple allemand, l’empire allemand, l’armée allemande ou le mouvement national-socialiste ».

La troisième liste Otto date de mai 1943 et comporte « 934 titres de 706 auteurs et la totalité des œuvres de 41 auteurs » et une liste  de 739 écrivains juifs de langue française dont la totalité des œuvres est interdite (soit environ 8000 titres).

L’application de ces interdictions n’est pas sans problèmes, et l’autorité allemande s’exerce plus ou moins durement, selon les bibliothèques et les régions.

A la Bibliothèque nationale, les livres sont retirés des salles de lecture, mais sont conservés, et ne sont plus communiqués, ou bien seulement exceptionnellement, comme le prévoit la circulaire d’application du 22 octobre 1942 : « à condition que le lecteur donne au préalable et par écrit la garantie que le volume lui sert uniquement pour un travail scientifique ». Dans les magasins de la Bibliothèque nationale, les livres figurant sur la première liste Otto sont dotés « d’une étiquette blanche collée sur le dos et sur le plat supérieur et portant l’indication suivante : Liste Otto. Ouvrage ne pouvant être communiqué sans une autorisation spéciale de l’Administrateur général ». Au département des estampes : « Les estampes ou affiches incriminées furent réunies dans de grands cartons et ceux-ci mis sous scellés, le conservateur du Cabinet des estampes s'étant personnellement porté garant du respect des scellés » (Madeleine Chabrier).

Face à l’ampleur de la 2e liste Otto, la Bibliothèque nationale renonce à étiqueter les livres.

Marie Külhmann précise, dans « Les bibliothèques dans la tourmente » : « Selon une stratégie développée dans tous les secteurs culturels, les Allemands préférèrent laisser aux institutions françaises le soin de gérer la censure » par l’intermédiaire des préfets et des maires. Cela peut expliquer que des actions de résistance passive aient pu se mettre en place dans de nombreuses bibliothèques. Cela explique aussi que les bibliothécaires, en majorité opposés au nazisme et attachés à leurs collections, aient eu la possibilité de ne pas détruire les livres et de simplement les mettre de côté. Précisons que la Bibliothèque nationale tient une place un peu particulière, notamment par son rôle de conservation de documents et archives témoignant de l’Histoire contemporaine. L’occupant, certain de sa victoire, et conscient de la valeur de ces documents, souhaitait conserver cette richesse qui devait revenir au Reich.

A la différence des librairies ou des maisons d’éditions, les bibliothèques françaises ne semblent pas avoir eu à déplorer des autodafés et pilonnages systématiques de leurs collections. Ils pouvaient avoir lieu comme mesure de représailles, et plutôt dans les bibliothèques municipales, soumises à des Kommandantur plus ou moins brutales. Les saisies, quant à elles, ont pour destination, immédiate ou différée, le Reich. Enfin, on connaît aussi des vols purs et simples par les troupes occupantes.

Vous pouvez consulter avec profit les documents suivants :

- Poulain, Martine. Livres pillés, lectures surveillées : les bibliothèques françaises sous l'Occupation. Paris : Gallimard, 2013. 753 p.

- Külhmann, Marie. « Les bibliothèques dans la tourmente ». Dans Histoire des bibliothèques françaises. [4], Les bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990. Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 2009, p. 295-329. Extrait : « La liste Otto »

- Chabrier, Madeleine. « La bibliothèque nationale de 1940 à 1944 ». (réédition de son article écrit en 1944). Bulletin d’informations de l’Association des bibliothécaires français, 1990, n°148.

  • Mis à jour le 10 janv. 2020
  • Nombre de vues 497
  • Réponse par Sabine Roulleau

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